POÈME — OMAYRA
Aujourd’hui, souvenez-vous d’Omayra
Demain souvenez-vous d’Omayra.
Enlisée, jambes prises dans le béton,
Omayra l’enfant de 12 ans
Qui a chanté avec ses sauveteurs meurt lentement.
L’enfant qui chante avec ses sauveteurs
Ne peut plus chanter
L’enfant de 12 ans aux quatre-vingts heures
De peur et d’angoisse
Meurt doucement sans se plaindre
Elle voit le jour passer
Elle voit la nuit tomber
Trois fois ses yeux noirs
Éclairent de leur pureté noire
Les lumières aveuglantes des projecteurs
Les ombres des sauveteurs
Qui l’entourent
Elle meurt lentement
Elle ne peut plus lever les bras
Ses lèvres sont appuyées au tronc
Qui soutient le menton
Jairo est dans l’eau
Il l’enlace pour la réchauffer
Jairo le jeune homme a découvert
La jeune fille
Après le déferlement de boue
Qui de sa force a tout recouvert
Sur Amaro la mort est tombée
Indifférente appliquée
Cadeau venu du volcan Nevado del Ruiz
Les neiges éternelles ont fondu
Les neiges à 5400 m ne sont plus
Amero la ville à disparu
Et quand Jairo, voit l'enfant
Jairo de Mariquita
Mariquita Colombie
L’enfant le voit
La petite fille le voit lui qui vient
Elle attend dans l’eau froide et la boue
Les jambes prises dans le béton et la boue
Alors quand elle le voit, la fillette lève la tête
Elle attend depuis 20 heures
La boue au ras de la bouche
Les grains de café au ras des lèvres
— Peux-tu attraper le bâton ?
— Non, dit la fillette, je ne peux pas
Arrive une autre coulée de boue
Et tous s’enfuient, tous sauf Jairo
Qui sera contre elle debout
Trois nuits et trois jours
L’enfant devient une fillette
La fillette une jeune fille
Les autres reviennent et plongent
Moto pompe, aspiration
Tout est vain
Non pas perdu d’avance
Mais vain
Et dans l’horrible si simple, si efficace
La jeune fille devient femme
Et meurt un samedi matin
Il est 9 h 00
Rien n’a pu la sauver
Ni massage, ni respiration
Les autres humains ne peuvent rien
La petite-fille devenue femme
En 20 heures d’attente
Et 60 heures de combat
Meurt
N’oubliez pas Omayra,
Omayra Sanchez de Colombie
Aimée trois jours par Jairo Higueria de Colombie
Aimée par les autres
Morte sans sa mère
N’oubliez pas sa lumière noire
Ni aujourd’hui, ni demain
Jamais.
AJR
VIVRE –
Tu fracasses le silence et respires à la lumière
Tu rampes, et dresses le regard vers ceux qui sont là
tout autour.
Et tu crois en eux
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Et tu te replies devant ceux qui sont là
Tu les oublies pour grandir
Eux se rappellent à toi, au sortir de leur vanité
Alors tu les appelles
Alors tu les regardes
Alors tu te réfugies comme tu peux dans leurs bras et leurs mots
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Tu vas seul, sans aide,
Même si tu marches seul, tu vas vers eux
Pas d’autre alternative, d’autre voie que celle obligée
De ceux-là qui t’entourent
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Et s’ils te battent tu pleures
et tu restes
Et s’ils te cajolent, tu pleures
et tu restes
Puis vient le rêve
Comme tu les imagines,ils ne sont jamais là
Alors plus tard, pas trop, mais plus tard
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Tu guettes les images, les détails sans le savoir
sans même les reconnaitre
pour ne pas les connaitre
Et tes images écrasent ta vision,
Comme elles écrasent ce que tu éprouves
Alors tu restes comme la branche au tronc
comme le tronc dans la terre de la colline
la colline de ta région, celle où tu vis
et qui n’est pas la tienne
qui n’est à personne
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Et puis un jour, lassé de tes images
tu t’arrêtes à l’une d’elles
pour un jour, un mois, un an, la vie peut-être
À chaque fois l’autre, en face à côté
surgit là où tu ne l’attends pas
Mais c’est bien là qu’il est, l’autre,
lui aussi comme toi en quête d’images
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Et ta branche tremble
Tu veux partir, quitter la colline
Tu cherches, tu reprends la quête à ton insu
Et de loin en loin tu faiblis
Tu finis par ne plus comprendre
que tu n’es pas même une branche
qui se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Alors que tu es l’arbre, la forêt, la colline
Cela, que tu n’as jamais compris et jamais vu
Alors au seuil de l’outre-temps,
parfois enfin, tu sais, tu comprends, mais parfois non
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Et cela sans même avoir saisi une seule fois
combien seule la vie, le seul battement de la vie est vrai
combien l’image n’est pas.
Cela tu n’as pas oublié, car tu ne l’as jamais su
Tu n’as jamais su l’arbre, l’écorce et l’aubier
Et c’est pourtant au sein de ces abattis que tu dormiras dans l’outre-temps
sans même le savoir aussi
Comme la branche se nourrit de l’arbre
Comme la branche se nourrit de l’arbre
AJR