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Alain Julien RUDEFOUCAULD - Ecrivain

 

 Alain Julien Rudefoucauld, destins croisés d’adolescents à la dérive

Dramaturge, essayiste et romancier, Alain Julien Rudefoucauld est l’auteur du Dernier Contingent [1], couronné en 2012 par le prix France Culture/Télérama. Ce roman retrace, à la manière d’une épopée, l’itinéraire et la révolte de six jeunes en perdition.

Dans votre roman, six ados de la région bordelaise se racontent à la première personne, avec leur langue crue, rageuse. Existent-ils dans la réalité  ?

Non, mais j’ai travaillé pendant une quarantaine d’années avec des enfants ou des adolescents. Autant dire que j’en ai vu passer… Par ailleurs, j’ai moi-même été un adolescent rebelle et violent, et je suis resté intensément fidèle à l’enfant que j’ai été. C’est peut-être pour cela que mes personnages semblent si réalistes. En fait, je n’ai pas donné la parole aux jeunes… car je ne la possède pas  ! J’ai juste ouvert une porte pour qu’à son tour leur parole se libère, sans qu’on la leur coupe  !

C’est en cela que vous avez écrit un vrai roman social  !

C’est vrai, ce n’est pas un livre sur l’adolescence, mais un roman social et même politique au sens noble du terme. Le narrateur s’efface totalement derrière les jeunes, qui ont vécu et continuent à vivre des choses très rudes – prostitution, violence, agressions sexuelles, dérive des familles… –, mais tout cela n’est pas misérabiliste. Ils se rebellent d’ailleurs  ! Par la rébellion, ils gagnent leur dignité. Il y a de la solidarité entre eux et dans leur fratrie, pour Sylvie et Marco, par exemple, qui ont chacun une petite sœur. C’est aussi une épopée contemporaine. En écrivant, j’avais souvent à l’esprit l’Iliade, d’Homère, le présent narratif, la colère d’Achille, autour de laquelle tout le récit est organisé et par laquelle il commence. Ainsi, les jeunes du Dernier Contingent sont crus, brutaux, pour certains violents, mais tous épiques.

Et vous ne jugez pas vos personnages. Vous prenez leur défense et pointez la violence des institutions : la justice, les éducateurs et surtout la police.

Effectivement, ces jeunes sont en guerre contre ceux-là mêmes qui prétendent agir pour leur bien. La violence des adultes est parfois pavée de bonnes intentions  ! D’abord, j’estime qu’il ne faut pas chercher à éradiquer la violence chez l’autre ou chez soi. Il faudrait au contraire la sublimer, car elle est porteuse de civilisation  ! L’âme humaine a plusieurs facettes et il faut les expérimenter toutes.

Ensuite, il ne suffit pas d’être géniteur/trice pour être père ou mère… Ce sont les enfants qui nous fabriquent  ! Et un père, c’est quelqu’un qui accepte d’être haï et qui tient bon à l’adolescence. Or, je l’ai constaté, beaucoup de parents n’assument pas leur rôle. Et enfin, l’Etat et la République non plus ne tiennent pas les leurs.

La République a des devoirs envers les jeunes, comme envers les autres citoyens. Or, quand les jeunes ne peuvent pas bouger de chez eux faute de transports en commun, que leurs parents sont dans une précarité telle qu’ils n’ont plus les moyens de se chauffer, voire de se loger, quand ils n’ont pas accès à l’éducation et à la culture faute de moyens économiques, ils se révoltent, c’est normal et juste  ! Les plus vulnérables dans la misère sociale ce sont les enfants.

Les jeunes que vous décrivez dans votre livre semblent vivre avec un sentiment d’insécurité permanent.

Les jeunes du roman n’ont plus les capacités de faire face aux nécessités du présent, alors comment voulez-vous qu’ils se projettent dans l’avenir  ?  ! Les notions centrales de mon livre sont l’insécurité et l’injustice, et, plus profondément, le destin : insécurité économique, culturelle et spirituelle, insécurité physique.

L’insécurité, c’est l’origine de la peur de l’autre, laquelle peut conduire au vote extrême d’un côté, et, de l’autre, à la sur-estimation d’eux-mêmes de la part des hommes politiques. La réponse à l’insécurité, c’est le cadre, c’est peut-être pour cela que certains jeunes n’ont d’autre solution que de se tourner vers l’armée.

Votre texte est vif, puissant, imagé, truffé d’inventions syntaxiques, rien à voir avec la pauvreté du langage qu’on prête aux ados  !

L’adolescence, c’est le dernier combat pour se donner l’illusion qu’on est libre. Cela s’exprime dans le comportement et la langue. Ils sont inventifs mais, hélas, leurs inventions deviennent vite des formes figées dans lesquelles ils s’enferment par mimétisme. Pour traduire leur inventivité, des expressions ou des constructions syntaxiques me sont venues : «  on s’limace dépressif  », «  il pleuviche  », «  j’ai pas le passeport victime  », etc.

Mon titre a plusieurs sens, dont celui lié au hasard. Le Dernier Contingent fait aussi référence à la conscription : toute une classe d’âge était appelée à faire son service militaire ensemble, quels que soient l’origine sociale, culturelle, le niveau d’étude, et par hasard de surcroît… Mes personnages sont différents, mais leurs chemins se croisent à un moment donné  ; ils se retrouvent dans une cause commune et se révoltent ensemble pour être plus forts. 

 

-  [01.10.12]   Karine Pollet

[1] Le Dernier Contingent, éditions Tristram, 24 euros.

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