Séance tenante Alain Julien. Rudefoucauld. Romancier et dramaturge français, né en 1950. Il est l’auteur du Dernier Contingent (Tristram), prix France Culture-Télérama 2012, épopée sombre de six adolescents cabossés. photo Catherine Gugelmann
La première image ?
Burt Lancaster dans le Faiseur de pluie, une salle de bal, des lustres qui prennent feu. Ça, c’est pour le souvenir de l’image, fausse certainement, quoique pour le feu ça doit être ça.
Le film (ou la séquence) qui a traumatisé votre enfance ?
C’est un film de Franju, les Yeux sans visage, vu en 1960, l’année de sa sortie. Edith Scob joue la fille de Pierre Brasseur. Il opère des jeunes filles en décollant leur face pour y greffer le visage de sa fille, tout ça baigne dans le sang, en plongée, horrible et glaçant.
Le film que vos parents vous ont empêché de voir ?
Aucun, j’ai eu de la chance !
Une scène fétiche ou une scène qui vous hante ?
Certaines scènes de Stalker, de Tarkovski, comme celle du train. Ou l’avancée en train à la fin de Japón, de Carlos Reygadas. Non, finalement : le travelling jusqu’au dernier plan des 400 Coups, un coup de maître.
Vous dirigez un remake ? Lequel ?
Crash, de Cronenberg, d’après Ballard. Assez curieusement, Cronenberg n’arrive pas à expliciter (ou alors il l’a coupée) la scène homosexuelle, à refaire avec De Palma comme référence, qui lui-même a en référence, etc.
Le film que vous avez le plus vu ?
La Soif du mal, en vidéo, sans aucun doute. Je peux voir ce film en coupant le son, le test absolu pour le cinéma du point de vue de la narrativité scopique.
Qui ou qu’est-ce qui vous fait rire ?
Dans le cinéma, rien de précis, mais j’aime tout ce qui est humour, c’est-à-dire l’opposé de la plaisanterie. Les séquences de The Party pendant le repas avec Peter Sellers sont extraordinaires.
Un film dans lequel il ferait bon vivre ?
Vivre dans un film ! Manger du poulet virtuel ! On croit qu’on est aimé et on s’engueule sitôt lâché le mot «coupez» ! Non, aucun film… Ah si : la Rose pourpre du Caire, de Woody Allen.
Un rêve qui pourrait être un début de scénario?
Un accident de carriole, un cheval qui tombe à l’eau, rêve authentiquement fait par moi et qui a lancé le début d’un scénario, mais pendant que je l’écris, je vois le film Element of Crime, de Lars Von Trier, avec la même scène. De quoi perdre la boule.
Votre vie devient un biopic. Qui dans votre rôle ? Et qui derrière la caméra ?
C’est quoi un biopic ? Un film biographique ? Mathieu Kassovitz filme, et Tom Hanks joue.
Le cinéaste absolu à vos yeux ?
Welles. Ils s’y sont tous nourris, à un moment ou un autre, depuis Hitchcock jusqu’à Tarkovski en passant par Godard, Truffaut… Mais Welles aurait vu 32 fois la Chevauchée fantastique, de Ford !
Le monstre ou le psychopathe dont vous vous sentez le plus proche ?
Hannibal Lecter, mais pas pour la langue, le foie, ou un autre organe, non, il s’agit de l’acuité.
L’acteur ou l’actrice que vous auriez aimé être ?
Brando, l’art de sentir le positionnement de la caméra, le regard ailleurs, au-delà de l’autre, l’infinitésimal qui produit tout.
Dernier film vu ? Avec qui ?
Le Havre, de Lucas Belvaux, avec ma compagne. J’en ai entendu parlé par Cohn-Bendit dans une émission. J’aime le mélange d’époques suscitant les niveaux de lecture, mais pas le dernier plan, un peu cucul la praline.
Le cinéma disparaît à tout jamais. Une épitaphe ?
«E finita, commedia, tragedia, ora dove dorme il sogno ?» C’est fini, la comédie, la tragédie, à présent où dort le rêve ?
La dernière image ?
Welles dans l’eau à la fin de la Soif du mal. Il vient de chuter pour la dernière fois. Welles filme Welles. Une lucidité absolue.